Quelle place pour les femmes dans le sport ?

Le 24 janvier, c’est la Journée internationale du sport féminin. Lancée en 2014 à l’initiative du Conseil supérieur de l'audiovisuel français en collaboration avec le Comité national olympique et sportif français, cette journée est née d’un constat : celui de la sous-médiatisation du sport féminin. À l’origine appelée « 24h pour le sport féminin », l’objectif souhaité était d’améliorer la visibilité du sport féminin dans les médias. Si certains événements sportifs féminins ont en effet obtenu d’excellents scores d’audience, force est de constater qu’en 2020, les sportives restent quant à elles encore fortement dévalorisées par rapport à leurs homologues masculins. Quelle place pour les femmes dans le sport ?

La dernière Coupe du Monde de football féminin organisée en France l’an dernier a marqué un tournant dans l’histoire du football et du sport féminin avec un succès populaire et médiatique jamais vu auparavant. Malgré leur défaite en quarts de finale face aux États-Unis, futurs vainqueurs de la compétition, les Bleues ont gagné le cœur des Français.e.s… à défaut de remporter la coupe.

Le sport féminin progresse mais les inégalités perdurent

Une vraie réussite qui a même poussé la FIFA et certaines fédérations nationales, vivement encouragées par certaines joueuses emblématiques très engagées en faveur de l’égalité des droits, telles que l’Américaine Megan Rapinoe (Ballon d’Or 2019) ou l’emblématique joueuse brésilienne Marta, à revoir à la hausse le montant du budget alloué à la Coupe du Monde féminine ou à la promotion du foot féminin… L’équipe nationale américaine a même porté plainte contre sa fédération pour discrimination sexiste. Sans oublier Ada Hegerberg, joueuse norvégienne de l’Olympique Lyonnais – tout premier Ballon d’Or féminin en 2018 –, qui refuse quant à elle de jouer avec son équipe nationale pour protester contre les inégalités salariales.

La Fifa va ainsi doubler son budget consacré au football féminin : les dépenses liées à la pratique du football féminin vont en effet passer de 500 millions à 1 milliard de dollars sur quatre ans. L'enveloppe destinée aux joueuses doublera elle aussi, évoluant de 30 millions de dollars en 2019 (montant qui avait déjà doublé par rapport à 2015) à 60 millions en 2023. Une progression qui reste pourtant très loin encore de gommer les inégalités : 400 millions de dollars de primes ont été distribuées pour le Mondial masculin de 2018 (et une augmentation de 10 % est d’ores et déjà prévue pour la Coupe du monde 2022).

Les sportives bien moins payées que les hommes

En France, le montant des primes par match reçu par les joueuses était dix fois moins élevé que celui des joueurs. Sans oublier qu’elles avaient dû, en pleine préparation de leur Coupe du Monde, laisser Clairefontaine à leurs homologues masculins qui devaient, quant à eux, jouer un match de qualification à l’Euro 2020. Aujourd’hui encore, les inégalités, salariales notamment, dans le monde du sport restent flagrantes, comme en témoigne l’illustration ci-dessous :

Les inégalités salariales dans le sport

Des différences notables – sauf en Tennis, sport dans lequel l’égalité financière est pratiquée – qui s’expliquent en partie par le fait que certaines sportives ne sont pas, contrairement aux hommes, « professionnelles » mais encore sous le statut « amateur ». Certaines joueuses de l’équipe de France de football sont ainsi obligées de travailler à mi-temps en plus de leurs entraînements ! Les salaires des 23 joueuses s’étalent ainsi de près de 30 000 euros bruts par mois à moins de 2 000 euros.

Le sport féminin plébiscité par le public

Quoi qu’il en soit, l’engouement du public pour le sport féminin et les sportives n’est plus à démontrer, et le foot n’est pas une exception : en décembre 2018, l’équipe de France féminine de handball devenait en effet, en France, Championne d’Europe devant une audience record de 5,387 millions de téléspectateurs en moyenne, soit 29,4 % de part d’audience pour TF1 (sans compter les téléspectateurs de beIN SPORTS qui codiffusait l’évènement). Mieux encore : 8,145 millions de téléspectateurs ont assisté au sacre des Bleues sur les coups de 19h.

À la suite de la compétition, 80 % des Français (selon un sondage Odoxa Pour Groupama et RTL) déclaraient souhaiter voir plus de sport féminin à la télévision et pour 88 %, le sport féminin n'était pas suffisamment médiatisé, alors qu'il était jugé aussi intéressant (83 %) et spectaculaire (73 %) que l'équivalent masculin.

En 2013, le CSA dressait le constat suivant (menant ainsi à la création de cette Journée internationale du sport féminin) :

« Le CSA a engagé une réflexion sur la place du sport féminin à la télévision, à partir de données observées sur une période de quatre semaines. Les compétitions sportives féminines ont représenté 7 % du volume horaire des retransmissions en 2012. »

Depuis, la médiatisation des sports féminins n’a cessé d’augmenter : 14 % en 2014 ; près de 20 % en 2016. Mais depuis, difficile de faire grimper cette statistique. D’autant que ce chiffre doit être complété par celui de la proportion de femmes au sein des rédactions sportives : elles n’étaient que 10 % en 2016 (contre 5 % néanmoins en 2000). Certes, certaines d’entre elles ont pu bénéficier d’une forte exposition à l’image d’Estelle Denis sur M6 et aujourd’hui sur L’Équipe TV, ou de Céline Géraud qui, entre autres, a présenté Stade 2 pendant 4 ans et demi. Mais elles font exception !

Un manque de reconnaissance des sportives

Manque de visibilité, manque de médiatisation, manque de notoriété, manque de moyens et même manque de reconnaissance, voilà ce qu’il en est du sport féminin aujourd’hui encore, en France mais également dans le monde. Et ce même avec les championnes « hors norme » à l’image de la judokate française Émilie Andéol, « Championne olympique sans emploi » comme le tirait Ouest France en décembre dernier.

Médaillée d’or aux JO de Rio en 2016 et retirée des tatamis depuis 2017, la judokate poussait un énorme coup de gueule en expliquant toutes les difficultés rencontrées après la fin de sa carrière pour trouver un emploi, et ce même en étant titulaire d’une licence en management des organisations. Cri d’alarme qui a eu le mérité de mettre en avant la difficulté des sportives (mais aussi des sportifs moins connus) à gérer leur après-carrière et à se reconvertir. Heureusement, la championne a, depuis son interview, semble-t-il trouvé un emploi. Mais combien, moins titré qu’elle, n’ont pas cette chance ?

Voilà ce à quoi mène véritablement le manque de visibilité : au mépris, à l’oubli, à « l’abandon » de celles (et ceux) qui ont pourtant dignement représenté la France. Un délaissement d’autant plus dramatique quand il concerne les femmes qui subissent également, en général, une discrimination salariale au travail (comprise entre 9 et 20 % selon les modes de calcul). En somme, elles doivent affronter tout au long de leur carrière, qu’il s’agisse de leur vie sportive ou de leur vie professionnelle ensuite, les inégalités et les discriminations.

  • Qui a ainsi entendu parler de Justine Dupont, surfeuse française, qui a battu le record du monde de la plus grande vague jamais surfer par une femme à Nazaré au Portugal, le 14 novembre 2019. La même vague (connue pour être la plus grande du monde) que celle surfée par des hommes.
  • Qui sait que la championne américaine Allyson Felix, également plusieurs fois médaillée olympique, a battu l’an dernier un record mondial détenu jusqu’alors par Usain Bolt : celui du plus grand nombre de titres mondiaux détenu par un.e athlète ! Elle a en effet obtenu sa 12e médaille d’or… 10 mois après avoir donné naissance à sa fille !
  • Qui a entendu parler de ce record du monde à la nage réalisé par une femme ? Sarah Thomas, 37 ans, originaire du Colorado, a en effet enchaîné la traversée de la Manche à la nage à quatre reprises. Un peu plus de 54h d’efforts continus pour redéfinir la notion d’athlète d’endurance. Avant elle, seuls quatre nageurs étaient parvenus à boucler trois fois d’affilée la distance entre la Grande-Bretagne et la France. Record battu donc, un peu plus de 210 kilomètres, 54h de nage dans des eaux froides et turbulentes, seule face à la performance et… peu d'écho dans les médias.

Des sportives engagées

Un écho que la Britannique, coureuse de l’extrême, Sophie Power a quant à elle rencontré… mais pas pour ses performances sportives pourtant exceptionnelles. En 2018, elle fait le buzz dans les médias en ligne grâce à une photo prise à l’occasion du l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, une course à pied de 171 km, la montrant en train d’allaiter son bébé de 3 mois. Raid qu’elle a bouclé après 43 heures d’effort et une pause pour nourrir son petit garçon. Elle expliquait alors :

« J'avais réussi à avoir une place alors que j'étais enceinte de Donnacha (son fils aîné) en 2014, mais ils ont refusé de reporter ma participation d'un an. Ils le font pour les blessures mais n'acceptent pas pour les femmes enceintes car selon eux ‘‘c'est un choix’’. »

Autre performance exceptionnelle réalisée par une femme dans des conditions extrêmes et passé quasiment inaperçu : celle de Jasmin Paris qui a remporté l’ultra-marathon de la Montane Spin Race, course de l’extrême de 430 kilomètres organisée entre le Derbyshire et l'Écosse. Elle a ainsi battu le record auparavant détenu par un homme en courant plusieurs jours, en ne dormant que 3 heures et… en faisant des pauses pour tirer son lait !

Des inégalités dans l'accès aux sports

Non, il n'y a pas de "sport d'homme" et de "sport de femme" ! Le sport c'est le sport et, par essence, il doit être accessible à tous... et à toutes ! Alors pourquoi tant d’inégalités alors que les femmes pratiquent de plus en plus le sport (et de sports différents), et que l’ensemble du public réclame davantage de sport féminin dans les médias ?

La pratique du sport en France

Parce que longtemps, les femmes ont été exclues des compétitions et privé d’accès aux lieux d’entraînement (et donc aux sports eux-mêmes). Des sports créés par les hommes pour les hommes, comme le rappelait le baron Pierre de Coubertin, président du Comité international olympique jusqu'en 1925 :

« Le véritable héros olympique est à mes yeux l'adulte mâle individuel. Les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs ».

Résultat, elles ne sont que 2,2 % à participer aux Jeux Olympiques de 1900, soit vingt-deux femmes sur les 997 athlètes en lice. En 1896, les tout premiers jeux de l'ère moderne ne comptaient aucune femme ! Et elles n’ont accès qu’à cinq sports uniquement : le tennis, la voile, le croquet, les sports équestres et le golf. En 1928, ce taux monte à près 10 %. Aux Jeux Olympiques de 2016 à Rio de Janeiro, Brésil, un nouveau record de participation féminine est battu avec 45 % de femmes en lice (5 176 femmes sur 11 444 athlètes).

À noter qu’en 2019, 33 % des membres du CIO sont des femmes. Toutefois, aujourd’hui, combien de femmes voit-on sur les terrains de sport urbains qui restent, la plupart du temps, la « propriété » des jeunes hommes.

Les sportives, ces véritables role models

Comme dans tous les secteurs, plus les femmes seront visibles (et donc médiatisées), plus elles pourront servir d’exemples, de références et donner envie aux plus jeunes de pratiquer elles aussi. En conséquence, les fédérations nationales devront alors développer les actions en faveur de la féminisation de leur sport, ce qui, à terme, donnera de meilleurs résultats, et ainsi de suite. Et pourtant, les rôle models ne manquent pas (et n’ont jamais manqué).

En voici quelques-unes présentées l’ouvrage Les 100 histoires de légende du sport au féminin :

  • Mythique : Chris Evert, sept fois vainqueur des Internationaux de Roland-Garros.
  • Insensée : Marie Paradis, première femme à gravir le mont Blanc en 1808… en robe !
  • Survivante : Ewa Wisnierska, aspirée avec son parapente à plus 10 000 mètres d’altitude !
  • Tricheuse : Fremke Van den Driessche, surprise aux Championnats du monde de cyclo-cross avec un moteur dans son vélo.
  • Militante : Billie Jean King, à l’origine en 1973 de la parité des primes dans le tennis et de la professionnalisation du circuit féminin.
  • Pressée : Valentina Greggio, fl ashée à 247 km/h en ski de vitesse dans le mur de Vars.
  • Mutante : Heidi Krieger, ex-lanceuse de poids qui témoigne au procès du dopage d’État en RDA sous les traits d’un homme…
  • Collabo : Violette Morris, de l’équipe de France au nazisme, elle devient tortionnaire pour la Gestapo.
  • Audacieuse : Catherine Destivelle, qui gravit seule et en onze jours les vertigineux 1 000 mètres de la face ouest des Drus.
  • Immortelle : Jeannie Longo, 59 ans, une nouvelle fois championne du monde en 2017…
  • Transgenre : Chris Mosier, icône de la communauté LGBT, premier athlète transgenre sélectionné en équipe nationale américaine de duathlon.
  • Engagée : Laurence Fischer, championne du monde qui part au Congo aider les femmes violées à se reconstruire en leur enseignant le karaté.

• Kathrine Virginia Switzer première femme à courir le marathon de Boston en 1967

Elles ont marqué l'histoire du sport

D’autres ont également marqué l’histoire à jamais, celle du sport mais aussi celle des droits des femmes. Parmi elles :

  • Kathrine Virginia Switzer, dite Kathy Switzer, coureuse de marathon, écrivaine et commentatrice de télévision américaine qui, en 1967, fut la première femme à courir le marathon de Boston comme participante enregistrée. Une participation mouvementée car elle fut bousculée au sens propre du terme par certains hommes tout au long du parcours.
  • L’Américaine Gertrude Ederle, pionnière de la nage en eaux libres, fut en 1926 la première femme à traverser la Manche à la nage, depuis la France vers l’Angleterre. Avec un chrono de 14 heures et 39 minutes, elle bat le record masculin de l’époque. Record resté invaincu jusqu’en 1950 !
  • Plus récemment, la Française Stéphanie Frappart, arbitre de football qui fut la première femme à arbitre un match officiel en Ligue 1 et élue meilleur sifflet du monde en 2019. Elle a également arbitré la Super Coupe d'Europe entre Liverpool et Chelsea, ainsi que la finale de la Coupe du Monde féminine.
  • Suzanne Lenglen, légende du tennis. Surnommée « la Divine », elle fut la première star internationale du tennis féminin dans les années 1930. Elle a notamment remporté 241 titres, dont 6 à Wimbledon et 6 à Roland Garros, et une médaille d’or olympique.
  • Même sport, autre légende : Serena Williams et ses 23 titres du Grand Chelem (à 1 titre du record absolu détenu par une autre femme, Margaret Court). Une championne d’exception qui a même arrêté la compétition pendant un an pour donner naissance à une petite fille mais qui reste néanmoins dans l’ombre des Roger Federer, Rafael Nadal et autres Novak Djokovic, tous d’immenses champions eux aussi mais… qui comptent moins de titres du Grand Chelem qu’elle !
  • Florence Arthaud ou la petite fiancée de l’Atlantique, a marqué le monde de la voile et le public. Première (et seule jusqu’à aujourd’hui) femme victorieuse de la Route du Rhum en 1990, elle s’inscrit pleinement dans les pas de Kay Cottee, navigatrice australienne qui fut la première femme à avoir effectué un tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance en 189 jours (en 1988).

L’idée ici n’est pas de dresser une liste exhaustive tant elle serait longue, mais bien de montrer à quel point les femmes ont toute leur place dans le sport malgré un net déficit de visibilité et de reconnaissance. Mais il n’est jamais trop tard pour faire du sport ! À l’image des « Vakhegula Vakhegula », ces grand-mères sud-africaines qui, à l’occasion de la dernière Coupe du Monde Féminine de Foot en France en juin 2019, sont venues affronter les Mamies Foot, l'équipe de France des grands-mères. La benjamine de l'équipe a 55 ans et la doyenne… 84 ! Alors Mesdames, à vous, enfin à nous, de jouer !